Pierre-Antoine Cousteau, surnommé « PAC », né le 18 mars 1906 à Saint-André-de-Cubzac et mort à Paris le 17 décembre 1958, est un auteur et un journaliste français.
Pierre-Antoine Cousteau appartient à une famille de la haute bourgeoisie du Bordelais. Son père, Daniel, était le fils d’un notaire opulent et d’Élisabeth Duranthon, fille d’un pharmacien aisé descendant d’un maire de Bordeaux et ministre de la Justice guillotiné sous la Terreur. Liées par ce mariage, les familles Cousteau et Duranthon faisaient partie de l’aristocratie girondine, et comptaient, parmi leurs membres, un doyen de la faculté de pharmacie de Bordeaux, un très gros négociant en vins, et divers exploitants viticoles. Une ascendance on ne peut plus enviable donc. Cependant, des gens opulents peuvent connaître des revers de fortune. Tel fut le cas de Daniel, père de Pierre-Antoine. Son frère aîné avait dilapidé au jeu (avant de se suicider) une bonne part de la fortune de son père, si bien que Daniel connut lui-même de sérieuses difficultés financières. Celles-ci le décidèrent de se rendre à Paris pour y tenter sa chance. C’est ce qui explique que son fils aîné, Pierre-Antoine naquit lui-même à Paris (passage Doisy dans le 17ème arrondissement) le 18 mars 1906.
L’instabilité de la carrière de son père (successivement avocat, puis assistant d’un homme d’affaires américain) vaut à Pierre-Antoine de vivre une enfance chaotique, quoique aisée. Il est élève tour à tour à Bordeaux, Marseille, Rouen et Paris (notamment à Janson-de-Sailly et Louis-le-Grand), et aussi aux Etats-Unis, à New York, puis à Camp Harvey, dans le Vermont, en 1920-1921. Il découvre ainsi le Nouveau Monde et acquiert une parfaite maîtrise de l’anglais et de sa variante américaine. Élève intelligent, vif et doué, doté d’un esprit critique acéré, il se révèle, tout jeune, caustique et mordant, et se forge une morale sceptique, froide, sans illusion sur le monde et la nature humaine, défiante envers les grandes idées. Peu attiré par des études longues, pressé d’entrer dans la vie active, il se lance, après son service militaire à Mourmelon, dans l’aventure de la vie en 1927. Il traverse alors une période d’instabilité professionnelle. Il vend des mallettes pour une société de maroquinerie, exerce un emploi de garçon de bureau à la Compagnie industrielle et maritime, essaie en vain de trouver du travail à Londres. En mars 1929, il retrouve à Paris, où elle voyage, une famille américaine, les Hearty, qu’il avait connue à New York en 1920-1921. Il s’éprend de la fille du couple, Ruth. Décidant de l’épouser, il part pour New-York en juin 1929.
Arrivé à Big Apple, il connaît une des plus grandes déceptions de sa vie : sa Dulcinée ne veut plus de lui et l’éconduit. Et, du même coup, Pierre-Antoine se retrouve seul, sans point de chute ni ressource, dans la grande cité. Heureusement, il retrouve les frères Fitzpatrick, trois jeunes gens qu’il avait fréquentés lors de son premier séjour à New York. Ceux-ci décident leur père à lui procurer un modeste emploi à la Credit Alliance, sa société de crédit. Ils l’intègrent à leur groupe d’amis et effectuent avec lui une grande randonnée de New York à la Californie. Mais Cousteau ne se sent aucun avenir aux Etats-Unis, et son travail le rebute. Sa tante lui ayant avancé l’argent du voyage, il revient en France en avril 1930.
À la recherche d’un travail, il accepte de traduire, pour Élisabeth Sauvy-Tissyre, dite Titaÿna, sœur d’Alfred Sauvy et reporter, le livre à succès de l’Américain Jim Tully intitulé Shadows of Men. Il s’éprend alors de la secrétaire de la journaliste, Fernande, qu’il épousera en 1932. Deux enfants naîtront de cette union : Jean-Pierre (né le 14 décembre 1938), cardiologue et futur biographe de son père, et Françoise. Titaÿna le fait entrer dans un quotidien intitulé tout simplement Le Journal.
Il s’attire alors les bonnes grâces du rédacteur en chef, Jacques de Marcillac, en écrivant un article remarquable sur l’écroulement de la colline de Fourvière à Lyon. Il se forge ainsi une notoriété de journaliste, et Marcillac lui confie la rubrique de politique étrangère du Journal. Bien d’autres périodiques lui commandent alors des articles : Monde, Voilà, L’Heure, L’Homme, Paris Midi, Noir et Blanc, et même le magazine humoristique Ric et Rac, et le périodique satirique Le Coup de Patte.
L’entrée à Je Suis Partout et la conversion au fascisme
Son talent retient alors l’attention d’un homme qui va faire basculer sa vie : Pierre Gaxotte. Ce dernier, qui s’est taillé une célébrité d’historien avec son livre sur La Révolution française, normalien agrégé d’histoire, ancien secrétaire de Maurras, directeur de Candide, souhaite s’attacher ce jeune talent. Rédacteur en chef d’un nouvel hebdomadaire, Je suis partout, fondé par Arthème Fayard (l’éditeur de Maurras), dont le premier numéro a paru le 29 novembre 1930, il a constitué autour de lui une équipe composée de jeunes intellectuels de droite, hostiles à la démocratie. Beaucoup viennent, comme lui-même, de l’Action française, tels Claude Jeantet, Bernard de Vaulx, Robert Brasillach, Maurice Bardèche. D’autres ont suivi un itinéraire plus personnel, plus singulier, comme Daniel Halévy ou Pierre Drieu la Rochelle.
Une nouvelle étape, décisive, s’ouvre dans la vie de Pierre-Antoine Cousteau, celle du journalisme, et même du militantisme politique. Jusqu’alors, la politique n’avait guère préoccupé notre héros. Il s’était montré indifférent aux grands débats du temps. Il éprouvait certes quelques sentiments assez forts, mais n’avait pas d’idées précises sur le pouvoir, les institutions, la société, moins encore d’idéal. Affichant son scepticisme – et ce dès ses années de lycée, il se disait, et ne cessa de se dire par la suite, “voltairien”, c’est-à-dire défiant envers toutes les croyances, toutes les grandes idées, toutes les orthodoxies, et d’un esprit critique sans cesse en alerte. Certes, son non-conformisme naturel, son aversion à l’égard de l’armée, de la guerre, du nationalisme exacerbé, de la bourgeoisie (dont il était pourtant issu) le tiraient à gauche. Il lui arrivait même de se dire « d’extrême gauche ». Mais il s’agissait là de réactions épidermiques à l’actualité, et non de l’expression de convictions profondes. Ce rejeton de la bonne bourgeoisie en rupture de ban avec celle-ci ne se sentait pas du peuple et n’éprouvait aucun sentiment de solidarité avec les ouvriers revendicatifs et leurs syndicats. Il se bornait à brocarder le conservatisme obtus, les principes surannés, les conventions ridicules et les traditions désuètes de sa classe d’origine, les pratiques religieuses de façade, le patriotisme étroit et vieillot, l’enseignement sclérosé des lycées. Cela le menait à se réjouir, en mai 1924, de la victoire du Cartel des Gauches, sans pour autant se sentir radical ou socialiste, et à sourire de la décomposition du Bloc national ou des réactions colériques de L’Action française. Mais tout cela était bien superficiel.
Ce l’était tellement que Cousteau, non sans cynisme, dissimulait ses sentiments et en simulait d’opposés pour complaire à François Mouthon et Jacques de Marcillac, respectivement directeur et rédacteur en chef du très conservateur Journal destiné à un public qui ne l’était pas moins. Cette duplicité, somme toute amusante, apparaît dans une lettre à sa tante du 11 mai 1931. Cousteau s’y vante de « flatter bassement l’insondable bêtise de la foule (pour être classé parmi les journalistes qui plaisent) » au moyen de « mille trucs : le patriotisme, le culte des héros, le respect des choses sacrées, le sadisme et les histoires de cuisses écartées, etc. », afin de gagner largement sa vie et de faire une belle carrière.
Or, Pierre Gaxotte subit la séduction des idées et des sentiments affichés par Cousteau dans ses articles, et, plus encore, de ses dons de plume. Il souhaite l’attirer à Je suis partout. La rencontre entre les deux hommes aura lieu dans les locaux du journal Coup de Patte en avril 1932. Au cours d’un déjeuner et d’une longue conversation, l’historien maurrassien, fondateur de Candide, co-fondateur de Je suis partout, va transformer du tout au tout la vision du monde de son jeune interlocuteur. Jusqu’alors non-conformiste sceptique et caustique, contempteur du patriotisme cocardier et militariste, européen, inclinant vers la gauche, Pierre-Antoine Cousteau va se muer, sous l’influence de Gaxotte, en un nationaliste antirépublicain et antidémocrate, partisan d’un pouvoir fort et d’un nouvel ordre social combinant idéal de grandeur et justice sociale. Lui, naguère hostile à l’Action française, va se rapprocher d’elle. Gaxotte ne fera pourtant pas de lui un maurrassien de stricte obédience. Il lui fera plutôt découvrir les séductions du fascisme. Car, en 1932, le fascisme, c’est celui de Mussolini, italien, romain, méditerranéen, conciliant patriotisme, catholicisme et socialisme, anti-nordique, anti-allemand, et donc compatible avec le nationalisme de l’Action française. Pierre-Antoine Cousteau va donc devenir, sous l’emprise de Gaxotte, un fasciste à la française, empreint de maurrassisme.
Enivré, subjugué, conquis, Cousteau va intégrer l’équipe de Je suis partout. Une profonde amitié va l’unir à Brasillach et Bardèche, ces deux intellectuels idéalistes, maurrassiens inconditionnels épris de l’idéal néoclassique d’une monarchie restaurée recréant la France de Louis XIV, puis bientôt enivrés de romantisme fasciste et préférant, à l’Action française, déclinante, le régime du Duce en Italie, puis celui du Führer en Allemagne. À la fin de sa vie, dans En ce temps-là (posthume, 1959), il décrira l’exaltation qui caractérisait alors les jeunes animateurs de Je suis partout, et l’emprise exercée sur eux par Gaxotte, leur rédacteur en chef. Ce qui, dans le discours de Gaxotte, conquiert Cousteau et les autres jeunes intellectuels du journal, c’est l’adhésion au fascisme. Cousteau écrit, en effet : « Il [Gaxotte] faisait de nous des fascistes conscients et organisés ».
Mais, très vite, un malentendu va surgir entre le maître et ses jeunes disciples. Le fascisme, après les avoir unis, va les séparer. Maurrassien, monarchiste, esprit classique, viscéralement anti-allemand, Gaxotte voit dans le fascisme (qui n’est, pour lui, que celui de Mussolini, en un temps où le Duce ne s’est pas encore rapproché du Führer, loin de là), un adjuvant propre à donner à l’Action française un nouvel élan, rien de plus. Au contraire, Brasillach, Cousteau et les autres jeunes rédacteurs de Je suis partout y voient de plus en plus un nouvel idéal politique, qui va bientôt supplanter, dans leurs cœurs, le nationalisme maurrassien de l’Action française, désormais dirigée par un Maurras âgé et une vieille équipe (la même que celle des années 1900) qui n’a su renouveler ni ses membres ni ses idées, de plus en plus dépassées par le monde des années 1930. Gaxotte fait peut-être de ses ouailles « des fascistes conscients et organisés », mais, par là même, involontairement, et au rebours de son but recherché, il fait d’elles de purs fascistes se réclamant de Mussolini et non plus de Maurras. Et, de fait, Cousteau continue en donnant de sa conception du fascisme (qu’il partage avec ses amis) une définition fort éloignée de celle de Gaxotte :
« Le fascisme que nous prêchait Gaxotte nous séduisait parce que nous pensions qu’il nous permettait de liquider le capitalisme en restant strictement français, en conservant notre indépendance nationale. En résumé, nous étions fascistes à Je suis partout : 1 Parce que c’était un gage de paix franco-allemande. 2 Parce que c’était un moyen de liquider la démocratie bourgeoise et d’arracher la France à la décadence. 3 Parce que c’était un moyen de faire sur le plan national l’indispensable révolution socialiste sans être sous tutelle russe… Pourtant nous ne nous dissimulions pas le péril allemand ».
Or Gaxotte, répétons-le, avait considéré le fascisme comme un simple exemple stimulant pour la France. Il restait un maurrassien inconditionnel. Et, le 18 mars 1933, il avait, dans un article de Je suis partout, présenté le Reich nazi comme « une menace pour la France ». De plus, comme toute l’Action française, dont la clientèle appartenait aux classes aisées, il ne souhaitait nullement une « révolution socialiste » et n’identifiait pas, comme Cousteau, la démocratie (dont il prônait certes la liquidation) à la bourgeoisie (dont il était membre, comme les maîtres et les sympathisants de l’Action française, et dont il entendait bien assurer la conservation).
En réalité, Brasillach, Rebatet, Jeantet et autres se convertissaient résolument au fascisme, rompant les amarres avec l’Action française. Et Cousteau, qui n’avait pas de passé maurrassien, leur emboîtait le pas. L’opposition entre Gaxotte et son équipe ira croissant, et finalement l’historien abandonnera à Brasillach, en 1937, son poste de rédacteur en chef
Un grand connaisseur des Etats-Unis
En 1936, Jean Fayard, propriétaire du journal, souhaitant s’en débarrasser, accepte de le vendre à l’équipe rédactionnelle, dont font partie Pierre-Antoine Cousteau et, encore, à cette date, Pierre Gaxotte. Les journalistes consacrent alors leurs avoirs financiers au rachat de leur périodique, et vont jusqu’à renoncer à leurs rémunérations personnelles pour sauver ce dernier. Indépendant, le journal survivra donc, enregistrera même à l’occasion des succès commerciaux, et deviendra véritablement l’organe du fascisme en France.
À Je suis partout, Cousteau ne se présente pas d’emblée comme un sympathisant affirmé du fascisme. Il apparaît bien plutôt, en 1932, 1933 et 1934, comme un connaisseur des Etats-Unis, très informé de la vie politique, de la société et de la culture américaines. Il expose ainsi aux lecteurs la situation et les actions de l’armée du bonus (Bonus Army), ce groupement de vétérans militaires exigeant le paiement de leurs primes de guerre, résume l’histoire et le fonctionnement de la presse américaine, dominée par la personnalité de W.R. Hearst, critique les errements et injustices de l’appareil judiciaire américain, relate en détail la campagne présidentielle de 1932, explique les raisons de la victoire de Roosevelt, traite du problème du paiement des dettes françaises aux Etats-Unis, dénonce le racisme américain et prend la défense des noirs, décrit avec indignation le sort tragique des chômeurs jetés sur le pavé par le grande crise de l’époque, parle de la grande grève californienne de 1934, révèle les aspects les plus horribles de la grande criminalité aux Etats-Unis, raconte l’histoire de Mickey au cinéma et en BD, brosse le portrait de personnalités pittoresques du nouveau monde (William Seebrook, Texas Ginan). Il lui arrive aussi d’accorder un entretien à Daniel Halévy sur l’évolution de l’Europe, et de porter des appréciations sur des ouvrages d’histoire destinés au grand public cultivé.
C’est surtout à partir du printemps 1936 qu’il s’affirme comme un journaliste politique, voire militant. Il suit la campagne des législatives d’avril-mai 1936, qui portent au pouvoir le Front populaire, mais ce sont surtout la politique étrangère de la France, l’évolution des relations internationales, les transformations respectives de l’Allemagne et de l’URSS, et les carences de la démocratie (pas seulement en France) qui attisent son esprit critique. Si, au début, il se félicite de la résistance de notre ministère des Affaires étrangères à l’influence communiste et soviétique, il fustige ensuite ce même ministère en raison de son absence de vision claire et juste des problèmes de l’heure et de son allégeance de fait au Foreign Office britannique.
Comme toute l’équipe de Je suis partout, il manifeste sa sympathie à l’égard du régime fasciste de Mussolini, du Reich hitlérien et du camp franquiste durant la guerre civile espagnole (juillet 1936-mars 1939), et reproche au gouvernement français de tolérer très volontiers la livraison d’armes aux républicains d’outre-Pyrénées et le départ de volontaires engagés aux côtés de ces derniers dans les brigades internationales.
Un nationaliste admirateur de l’Allemagne hitlérienne, mais lucide et mesuré
En 1937, Cousteau assiste au congrès du parti national-socialiste allemand à Nuremberg. Cela lui donne l’occasion d’entrevoir Hitler de loin, et de porter un jugement sur le régime nazi. Il manifeste alors un enthousiasme certain, mais mesuré. Il présente le Reich nazi comme un exemple dont on peut s’inspirer, mais sans chercher à le copier, ce qui serait absurde et vain en raison de l’irréductible spécificité de chaque peuple. Il souligne d’ailleurs les défauts des manifestations du régime : organisation extrême finissant à revêtir un caractère mécanique, et militarisation ostentatoire. Écoutons-le :
« L’envers d’Hitler-Messie, c’est Hitler-maître de maison, de même que l’envers de la parade du Zeppelinfeld est la prodigieuse incapacité des metteurs en scène allemands à rien organiser qui soit improvisé, de même que l’éveil de la jeunesse vers des destinées saines et viriles est cette militarisation dont l’outrance commence par agacer et qui finit par exaspérer le visiteur le moins prévenu ». Cousteau conclut d’ailleurs, de ces défauts, à la capacité, pour les Français, de surpasser les Allemands, s’ils consentent cependant à s’engager, comme eux, sur la voie du redressement national : « Et devant toutes les imperfections, toutes les lacunes, toutes les outrances du national-socialisme, nous constations qu’il faudrait, en somme, fort peu de choses pour que les Français fissent beaucoup mieux que les Allemands, pour qu’ils reprissent dans le monde la place prépondérante que les Français ont conquise, et qu’ils redevinssent ce qu’ils n’auraient jamais dû cesser d’être, non point un conglomérat anarchique d’individus systématiquement moyens, mais un peuple de seigneurs, un peuple de maîtres ». On le voit, Pierre-Antoine Cousteau n’est pas un admirateur ivre du national-socialisme, et il reste un nationaliste français avant d’être un fasciste, même s’il voit en l’Allemagne hitlérienne et en l’Italie mussolinienne des modèles de relèvement. La France pourrait redevenir une grande puissance si elle tournait le dos, une bonne fois pour toutes, à la démocratie, régime délétère par essence, aux principes erronés et, par là même, dangereux.
D’août à novembre 1938, Cousteau écrit une série d’articles intitulés « Les crétins solennels de la démocratie » à des personnalités politiques de l’époque jugées par lui particulièrement représentatives de ce régime qu’il exècre : le comte Sforza, Kerenski, Alcala Zamora, Michel Karolyi, Lloyd George, Titulescu, Gil Robles, Churchill. En juillet 1938 et mai 1939, il se rend en Espagne avec Brasillach et Bardèche, séjours qui nourriront ses articles sur le nationalisme franquiste.
Pierre-Antoine Cousteau se présente comme un fasciste ardent, certes, mais atypique. Nous venons de le voir, il admire le Reich nazi, mais en discerne les défauts et ne pense pas que le peuple français soit inférieur au peuple allemand, au contraire. À Nuremberg, il rencontre Abetz, mais le courant ne passe pas entre les deux hommes, qui se haïront tout en appartenant au même camp. Il ne se reconnaît pas dans les formations fascistes du moment : parti franciste, Solidarité française, PPF. Il deviendra pourtant un ami de Doriot.
Un collaborationniste convaincu mais en mésentente avec Abetz et Laval
En septembre 1939, il est mobilisé. Affecté à la 757e compagnie, près de Toul, il est fait prisonnier avec celle-ci le 23 juin 1940, et envoyé en Thuringe. Il recouvre la liberté en septembre 1941, grâce aux interventions conjointes, auprès des Allemands, de son épouse Fernande et de ses amis de Je suis partout, notamment Charles Lesca et Alain Laubreaux. Il se rallie alors au régime du maréchal Pétain et devient rapidement un partisan ardent de la collaboration avec l’Allemagne. Ce choix s’explique par sa conviction de la victoire définitive du Reich en Europe et de l’intérêt impérieux de la France de se ranger à ses côtés afin de s’attirer ses bonnes grâces et d’assurer le relèvement du pays dans un continent à direction allemande. Il découle aussi de son souhait de la formation d’une Europe fasciste en laquelle la France jouerait le rôle de troisième pilier, aux côtés de l’Allemagne et de l’Italie. Avec Brasillach, Fégy, Lesca, et de nouveaux venus, tels Abel Bonnard (de l’Académie française), André Bellessort (également de l’Académie française), Georges Blond, Lucien Combelle, Jean de La Varende et autres, Je suis partout va devenir le héraut par excellence de la politique de collaboration avec l’Allemagne. Cousteau fréquentera également le groupe Collaboration, composé d’intellectuels, et se sentira plus proche de Doriot et de son PPF, auquel il n’adhérera cependant pas, que de Déat et du RNP. S’il entretiendra de bons rapports avec Fernand de Brinon, chargé des relations franco-allemandes, il aura des relations exécrables avec Laval, personnage survivant de la République honnie, type même, selon lui, du politicien opportuniste et sans convictions propres, et qui, ainsi qu’il le dira lors de son procès, lui inspire « une véritable horreur physique ». De son côté, Laval s’efforcera toujours de tenir en lisière les collaborationnistes ultras comme Cousteau. Du côté allemand, si Cousteau s’entend avec les autorités d’occupation, il encourt toujours la haine froide et feutrée d’Abetz, l’ambassadeur du Reich.
À l’automne 1941, il devient rédacteur en chef au quotidien Paris Soir, où il se charge également de la rubrique de politique étrangère. Mais c’est à Je suis partout qu’il se distingue. Il se déchaîne contre les Américains, qu’il connaît suffisamment pour avoir appris à les haïr. Sous le même titre de L’Amérique juive, il leur consacre un article (Je suis partout, 15 novembre 1941) et un livre, paru aux Éditions de France en 1942. Le 13 novembre 1942, il présentera Les Américains tels qu’ils sont – Cent-cinquante ans de brigandage idéaliste. Les Anglais ne sont pas oubliés (« Le bolchevik Stafford Cripps devient le dauphin de Churchill », 28 février 1942, p.8, « Voilà ce que nous promettent Staline, Churchill et Roosevelt », 7 mars 1942, p.1, « Cent-cinquante ans de guerre franco-anglaise », 3 juillet 1942, p. 8).
Cousteau affirme aussi son antisémitisme. En témoignent, outre ses écrits, déjà cités sur l’Amérique juive, ses articles spécialement consacrés aux israélites. Dans Pour une solution provisoire du problème juif, il demande, pour les Juifs français, assimilés à des ennemis, un statut de prisonniers de guerre. Dans « Savez-vous jouer au tennis juif ? » et « Pitié pour les Aryens », il déplore la compassion excessive des Français à leur égard. Il défend ses convictions fascistes, dans ses articles, mais également par la parole, notamment lors d’une conférence faite le 3 mai 1942 à Paris, aux côtés de Brasillach et de Laubreaux.
Jusqu’au boutiste
Les revers militaires continus de l’Axe, à partir de la fin de 1942 provoquent une cassure dans la belle unité collaborationniste de Je suis partout. Face à la perspective de plus en plus probable de la défaite de l’Axe, Brasillach préconise une mise en sourdine de l’engagement pro-allemand du journal, et une réorientation vers la littérature. Cousteau, lui, au contraire, prône la persévérance par fidélité aux idées et afin de ne pas susciter déception et mépris chez les collaborateurs. Soutenu par la majorité des membres de l’équipe rédactionnelle, il l’emporte et succède à Brasillach comme rédacteur en chef. Il défendra inlassablement la ligne de l’intransigeance collaborationniste, traitant les modérés de “paillassons”. Il ouvre les colonnes du journal aux chefs collaborationnistes ultras, tels Darnand et Doriot. Il mobilise l’équipe (Lesca, Rebatet, Laubreaux, Dorsay, et même la dessinateur Soupault, et les invite à faire, avec lui, des conférences à la salle Wagram, pour défendre le fascisme, sur l’aspect révolutionnaire duquel il insiste, puis publie le compte rendu et le texte de ces discours sous le titre Vive la Révolution, exalte la Milice, flétrit les dirigeants de Vichy qui n’ont pas accompli la révolution nationale. Le 9 juin 1944, alors que les Alliés viennent de débarquer, il les dénonce comme les véritables envahisseurs, décidés à nous asservir, et défend l’idée de la collaboration comme l’unique chance de restaurer la liberté de la France. Le 16 août 1944, dans un ultime geste désespéré, conjointement avec Rebatet, il sollicite deux grands ténors de la Collaboration, Déat et Doriot, lesquels s’efforcent de démontrer que la victoire allemande reste possible.
L’exil, la condamnation, la prison
Il s’agira là du dernier éditorial de Cousteau. Je suis partout cesse ensuite de paraître.
Le dernier conseil des ministres de Vichy se tient le 19 août, et ensuite, ses membres sont transférés en Allemagne. Paris se soulève ce même 19 août, et, le 25, les Alliés y entrent. Cousteau, qui recevait continuellement des menaces de mort, quitte la capitale avec son épouse dans un camion de doriotistes. Il passera par Baden-Baden, Bad Mergentheim, Minau et Landau, parlera à Radio Paris, station doriotiste, puis gagnera l’Autriche. Il se rend aux Américains, lesquels le livrent aux Français. Non reconnu, il donne à un officier sa parole de ne pas s’évader, moyennant une assignation à résidence surveillée. Puis, identifié, il est emprisonné. Par fidélité à la parole donnée, il refuse un plan d’évasion proposé par son frère Jacques-Yves (le futur « commandant Cousteau »), et est ramené en France.
Incarcéré à Fresnes à partir du 12 janvier 1946, il sera jugé par la cour d’assises de la Seine du 20 au 23 novembre, conjointement avec Lucien Rebatet et Claude Jeantet. Rebatet et lui seront condamnés à mort, mais graciés le 10 avril 1947, par le président Auriol, en particulier grâce à une pétition qui réunira des personnes aussi peu collaborationnistes que Mauriac, Paulhan, Bernanos, de Lattre de Tassigny, Colette, Dorgelès, Jeanson, Michel Clemenceau, Georges Duhamel et le R.P. Bruckberger.
Détenu à Clairvaux, puis à Eysses, Cousteau sera libéré le 10 juillet 1953.
Un pilier de Rivarol
Il intègre alors l’équipe de Rivarol, le journal de René Malliavin, où il retrouve Jean Madiran, Jacques Perret, Marcel Aymé, Antoine Blondin. Il y fait merveille de 1953 à sa mort en 1958. Il y annonce en 1957, plus d’un an à l’avance, le retour de De Gaulle au pouvoir et, avec cinq ans d’avance, la liquidation par le même homme de l’Algérie française. Il écrit également dans l’hebdomadaire un article prophétique intitulé « Etre ou ne plus être » le 2 octobre 1958 sur la submersion migratoire de la France, de l’Europe et de l’Occident par le Tiers Monde. Il a alors 52 ans et pourrait commencer une nouvelle carrière. Le sort hélas en décidera autrement. Atteint d’un cancer du colon en 1956, il mourra à Paris le 17 décembre 1958.
Testament
Il confie à son ami Lucien Rebatet son testament. Rivarol en publie le texte quelques jours après sa mort :
« Je tiens à ce qu’en aucune manière on ne laisse supposer que j’ai pu affronter la mort dans d’autres dispositions philosophiques que celles qui ont toujours été les miennes, c’est à dire un agnosticisme total. Je tiens essentiellement à n’être présenté ni comme une victime des événements, ni comme un innocent. Si j’ai adopté en 1941 une attitude de collaboration, ce ne fut pas pour limiter les dégâts, sauver les meubles ou par quelque calcul relevant du double jeu. C’est parce que je souhaitais la victoire de l’Allemagne, non parce qu’elle était l’Allemagne, mais parce qu’elle représentait à l’époque, « avec tous ses crimes », la dernière chance de l’homme blanc, alors que les démocraties, « avec tous leurs crimes », représentaient la fin de l’homme blanc ».
Ses souvenirs, En ce temps-là, ont été publiés à La Librairie Française en 1959.