Léon Bloy, né le 11 juillet 1846 à Périgueux et mort le 3 novembre 1917 à Bourg-la-Reine, est un romancier et essayiste français.
Né à Périgueux le 11 juillet 1846, Léon Henri Marie Bloy est le fils de Jean-Baptiste Bloy, fonctionnaire aux Ponts et Chaussées et franc-maçon, et d’Anne-Marie Carreau, une ardente catholique, fille d’un soldat français qui rencontra une Espagnole pendant les guerres napoléoniennes, en 1811. Il est le deuxième d’une fratrie de sept garçons : Paul, Georges, Marc, Henri, Albert, Jules.
Ses études au lycée de Périgueux sont médiocres : retiré de l’établissement en classe de quatrième, il continue sa formation sous la direction de son père, qui l’oriente vers l’architecture. Bloy commence à rédiger un journal intime, s’essaie à la littérature en composant une tragédie, Lucrèce, et s’éloigne de la religion. En 1864, son père lui trouve un emploi à Paris, il entre comme commis au bureau de l’architecte principal de la Compagnie ferroviaire d’Orléans. Médiocre employé, Bloy rêve de devenir peintre et s’inscrit à l’École des beaux-arts. Il écrit ses premiers articles, sans toutefois parvenir à les faire publier, et fréquente les milieux du socialisme révolutionnaire et de l’anticléricalisme.
Rencontre avec Barbey d’Aurevilly
En décembre 1868, il fait la connaissance de Jules Barbey d’Aurevilly, qui habite en face de chez lui, rue Rousselet (Léon Bloy habite au numéro 24). C’est l’occasion pour lui d’une profonde conversion intellectuelle, qui le ramène à la religion catholique, et le rapproche des courants traditionalistes. C’est Barbey qui le familiarise avec la pensée du philosophe Antoine Blanc de Saint-Bonnet, « une des majestés intellectuelles de ce siècle », dira Bloy plus tard. Par la suite, Ernest Hello eut également une très forte influence sur lui ; il semble même que ce soit lui qui l’ait incité à écrire.
En 1870, il est incorporé dans le régiment des « Mobiles de la Dordogne », prend part aux opérations de l’Armée de la Loire et se fait remarquer par sa bravoure. Démobilisé, il rentre à Périgueux en avril 1871. Sa participation à la guerre lui inspirera, en 1893, Sueur de sang.
Il retourne à Paris en 1873 où, sur la recommandation de Barbey d’Aurevilly, il entre à L’Univers, le grand quotidien catholique dirigé par Louis Veuillot. Très vite, en raison de son intransigeance religieuse et de sa violence, il se brouille avec Veuillot, et quitte le journal dès juin 1874. Il est alors engagé comme copiste à la direction de l’enregistrement, tout en étant le secrétaire bénévole de Barbey d’Aurevilly.
En 1875, il tente sans succès de faire publier son premier texte, La Méduse Astruc, en hommage à son protecteur, puis, sans plus de réussite, La Chevalière de la mort, étude poético-mystique sur Marie-Antoinette. Il se lie avec Paul Bourget et Jean Richepin, qu’il s’échinera à convertir sans succès, et obtient un emploi stable à la Compagnie des chemins de fer du Nord.
De la passion à l’aventure mystique : Anne-Marie Roulé
Sa vie bascule à nouveau en 1877. Il perd ses parents, effectue une retraite à la Grande Trappe de Soligny (première d’une série de vaines tentatives de vie monastique), et rencontre Anne-Marie Roulé, prostituée occasionnelle, qu’il recueille, et convertit, en 1878. Rapidement, la passion que vivent Bloy et la jeune femme se meut en une aventure mystique, accompagnée de visions, de pressentiments apocalyptiques et d’une misère absolue puisque Bloy a démissionné de son poste à la Compagnie des chemins de fer du Nord.
C’est dans ce contexte passablement exalté que Bloy rencontre l’abbé Tardif de Moidrey, qui l’initie à l’exégèse symbolique durant un séjour à La Salette, avant de mourir brusquement. L’écrivain dira plus tard de ce prêtre qu’il tenait de lui « le meilleur » de ce qu’il possédait intellectuellement, c’est-à-dire l’idée d’un « symbolisme universel », que Bloy allait appliquer à l’histoire, aux évènements contemporains et à sa propre vie. Dès cette époque, il écrit Le Symbolisme de l’Apparition (posthume, 1925). Bloy sera associé à certaines influences qui s’exprimeront dans les mouvements les plus extrêmes du traditionalisme catholique, fortement imprégnés d’une eschatologie étroitement liée à l’apparition de la Vierge Marie à la Salette (1846), influences que l’on retrouvera, entre autres, dans Le Salut par les Juifs, signée par une ambivalence constante entre le Christ et l’Antéchrist.
Début 1882, Anne-Marie commence à donner des signes de folie ; elle est finalement internée en juin à l’hôpital Sainte-Anne de Paris. Bloy est atteint au plus profond de lui-même : « Je suis entré dans la vie littéraire (…) à la suite d’une catastrophe indicible qui m’avait précipité d’une existence purement contemplative », écrira-t-il plus tard.
Sur les conseils de son ami Charles Buet, Léon Bloy va faire une retraite à la Grande Chartreuse, en novembre 1882, dans l’espoir que le Général des Chartreux lui donnerait un secours lui permettant d’écrire le livre qu’il projetait sur Christophe Colomb. Le R.P. Anselme-Marie Bruniaux lui accorde ce qu’il souhaite.
De fait, c’est en février 1884 qu’il publie son premier ouvrage, Le Révélateur du Globe. L’ouvrage est consacré à Christophe Colomb, et Barbey d’Aurevilly signe sa préface. Suit, en mai, un recueil d’articles : Propos d’un entrepreneur de démolitions. Aucun des deux livres n’a le moindre succès. Parallèlement, Bloy se lie avec Huysmans puis avec Villiers de l’Isle-Adam, se brouille avec l’équipe de la revue Le Chat noir, à laquelle il collaborait depuis 1882, et entreprend la publication d’un pamphlet hebdomadaire, Le Pal, qui aura cinq numéros. En 1886, il s’installe pour six années à Vaugirard.
Le Désespéré
C’est à cette époque également qu’il entame la rédaction d’un premier roman largement autobiographique, Le Désespéré. Le drame vécu par les deux principaux protagonistes, Caïn Marchenoir et Véronique Cheminot, est de fait la transposition de celui que vit Bloy avec Anne-Marie, une relation où la sensualité est peu à peu effacée par le mysticisme. L’œuvre est achevée en 1886 mais, l’éditeur A. Soirat craignant d’éventuels procès, sa publication n’a lieu qu’en janvier 1887, et sans grand écho.
Bloy commence néanmoins un nouveau roman, La Désespérée, première ébauche de La Femme pauvre. Mais il doit s’interrompre et se consacrer, pour vivre, à une série d’articles pour les revues Gil Blas (décembre 1888-février 1889) et La Plume.
La mort de Barbey d’Aurevilly en avril 1889 puis celle de Villiers de l’Isle-Adam en août l’affectent profondément, tandis que son amitié avec Huysmans se fissure. Elle ne survivra pas à la publication de Là-Bas (1891), où Bloy se trouve caricaturé. Les circonstances de la mort de Barbey d’Aurevilly lui vaudront de violentes attaques, en mai 1891, de la part du journal La France sous la plume du « Sâr » Joséphin Peladan et un procès de ce dernier à son encontre et à celle de Léon Deschamps, rédacteur en chef de la revue La Plume. La quasi-totalité de la presse d’alors salue la condamnation du « Sâr » en octobre 1891.
Fin 1889, chez François Coppée, il rencontre Johanne Charlotte Molbech, fille du poète danois Christian Frederik Molbech, née en 1859. La jeune femme se convertit au catholicisme en mars de l’année suivante, et Bloy l’épouse en mai. Toutefois, Johanne garde son nom de naissance francisé (Jeanne Charlotte Molbech). Le couple part pour le Danemark au début de 1891. Bloy se fait alors conférencier. Sa fille Véronique naît en avril à Copenhague (suivront André en 1894, Pierre en 1895 et Madeleine en 1897). En septembre 1891, la famille Bloy est de retour à Paris.
Le Salut par les Juifs
Bloy se fâche alors avec la plupart de ses anciens amis, et commence à tenir son journal intime. En 1892, il publie Le Salut par les Juifs, écrit en réponse à La France juive de d’Édouard Drumont. Inspiré par la pensée de l’abbé Tardif de Moidrey, il y soutient des théories telles que : « L’histoire des Juifs barre l’histoire du genre humain comme une digue barre un fleuve, pour en élever le niveau. Ils sont immobiles à jamais, et tout ce qu’on peut faire, c’est de les franchir en bondissant avec plus ou moins de fracas, sans aucun espoir de les démolir. » En commentant cet ouvrage dans Le Figaro du 20 septembre 1892, Remy de Gourmont écrit que Bloy « nous fait lire cette conclusion : Israël est la croix même sur laquelle Jésus est éternellement cloué ; il est donc le peuple porte-salut, le peuple sacré dans la lumière et sacré dans l’abjection, tel que l’ignominieux et resplendissant gibet du Calvaire ». Bloy, tout en saluant le rôle particulier des Juifs, et reprenant à sa manière le thème du peuple élu, n’hésite pas à écrire en leur faveur des textes comme celui-ci : « Quelques-unes des plus nobles âmes que j’aie rencontrées étaient des âmes juives. La pensée de l’Église dans tous les temps, c’est que la Sainteté est inhérente à ce peuple exceptionnel, unique et impérissable, gardé par Dieu, préservé comme la pupille de son œil, au milieu de la destruction de tant de peuples, pour l’accomplissement de ses Desseins ultérieurs ».
Sa situation matérielle demeure précaire, et il doit déménager en banlieue parisienne, à Antony, d’abord place du Carrousel, puis 51 bis, avenue d’Orléans ; il y réside un peu plus d’un an. L’année suivant son départ, il écrit : « Antony n’a plus de mystère, après quatorze mois de séjour, et je quitte ce village de brigands, avec des rugissements de bonheur ». Il reprend alors sa collaboration avec le Gil Blas de Jules Guérin, d’abord pour une série de tableaux, anecdotes et récits militaires inspirés par son expérience de la guerre de 1870, puis pour une série de contes cruels. Les premiers formeront Sueur de Sang (1893) ; les seconds deviendront les Histoires désobligeantes (1894).
L’année 1895 est particulièrement douloureuse pour Bloy. Chassé de la rédaction de Gil Blas à la suite d’une énième polémique et ainsi réduit à la misère, il perd ses deux fils André et Pierre, tandis que sa femme tombe malade. Dans ses souvenirs, l’écrivain Lucien Descaves écrit : « Un jour de famine où il s’était nourri d’un croûton ramassé dans les ordures, Bloy, n’hésitant plus, avait porté chez Goncourt une demande de secours laissée sans réponse ». Il reprend la rédaction de La Femme pauvre. Le roman est finalement publié en 1897 : comme Le Désespéré, c’est une transposition autobiographique, et un échec commercial.
En 1898, il édite la première partie de son Journal, sous le titre Le Mendiant ingrat, mais c’est encore un échec. Bloy quitte à nouveau la France pour le Danemark, où il réside en 1899 et 1900.
« Cochons-sur-Marne »
À son retour, il s’installe dans l’est parisien, à Lagny-sur-Marne, qu’il rebaptise « Cochons-sur-Marne ». Dès lors, sa vie se confond avec son œuvre, ponctuée par de nouveaux déménagements : à Montmartre en 1904, où il fait la connaissance du peintre Georges Rouault, se lie avec le couple Jacques Maritain et Raïssa Maritain (qu’il conduit à la foi et dont il devient le parrain de baptême) et le compositeur Georges Auric, puis à Bourg-la-Reine où il s’installe 3, place Condorcet le 15 mai 1911. Bloy continue la publication de son Journal : Mon Journal (1904) ; Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne (1905) ; L’Invendable (1909) ; Le Vieux de la Montagne (1911) ; Le Pèlerin de l’Absolu (1914).
Il édite en recueil les articles qu’il a écrits depuis 1888, sous le titre Belluaires et Porchers (1905).
Il compose des essais qui sont à mi-chemin entre la méditation et le pamphlet, tels que Le Fils de Louis XVI (1900), Je m’accuse (1900) où la critique de Zola se mêle à des réflexions sur l’affaire Dreyfus et la politique française, la première série de L’Exégèse des lieux communs (1902), inventaire où sont analysées une à une les expressions toutes faites par lesquelles s’exprime la bêtise bourgeoise, ou Les Dernières Colonnes de l’Église (1903), étude consacrée aux écrivains catholiques « installés » comme Coppée, Bourget ou Huysmans.
Il poursuit dans cette veine avec L’Épopée byzantine (1906), Celle qui pleure (1908), sur l’apparition de la Vierge aux deux bergers de La Salette, Le Sang du Pauvre (1909), L’Âme de Napoléon (1912), et la deuxième série de L’Exégèse des lieux communs (1912).
Profondément marqué par l’éclatement de la Première Guerre mondiale, il écrit encore Jeanne d’Arc et l’Allemagne (1915), Au seuil de l’Apocalypse (1916), Les Méditations d’un solitaire en 1916 et Dans les Ténèbres (posthume, 1918).
Le 10 janvier 1916, il change d’adresse au sein de la commune où il était déjà domicilié, s’installant dans la maison libérée à Bourg-la-Reine au no 7, rue André-Theuriet par la famille de Charles Péguy, mort au champ d’honneur en 1914. Quelques mois avant sa mort, il y invite le poète Théophile Briant qui lui rend visite, à l’occasion d’une permission en août 1917 et à qui il offre un exemplaire du Salut par les Juifs. Le 3 novembre 1917, il meurt d’une crise d’urémie à Bourg-la-Reine, entouré des siens et de ses amis et est enterré au cimetière communal. Sa tombe y est inaugurée le 3 mai 1925. Elle est ornée d’un bas-relief en bronze, dû au sculpteur Frédéric Brou, représentant Notre-Dame de La Salette (Isère), apparition mariale que Léon Bloy vénérait particulièrement.
De son œuvre, on retient surtout la violence polémique, qui explique en grande partie son insuccès mais qui donne à son style une force, un éclat et une drôlerie uniques. Pour autant, l’inspiration de Bloy est avant tout religieuse, marquée par la recherche d’un absolu caché au-delà des apparences historiques. Tout, selon Bloy, est symbole : reprenant le mot de saint Paul, il ne cesse d’affirmer que « nous voyons toutes choses dans un miroir » (1Cor 13,12), et que c’est précisément la mission de l’écrivain que d’interroger ce « grand miroir aux énigmes ».